Franc du Collier (1)
"Oui, non, tu comprends, mon cœur, mon amour, le plus important pour moi dans notre couple c'est l'honnêteté, tant que l'on peut se dire les choses nous surmonterons tous les obstacles, mais ce que je ne supporterai jamais, c'est que tu me mentes".
Hun hun.
Je glousse.
Intérieurement, bien sûr.
Il est bien entendu entre nous que glousser ou même sourire ostensiblement à ce qui précède serait du plus mauvais goût, et amènerait la conversation sur un terrain beaucoup plus hostile.
Et pourtant, ça, pouffer, ou même éclater de rire, ce serait vraiment honnête de ma part.
De la vraie bonne expression de mes sentiments avec de beaux morceaux de sincérité garantis sans additifs dedans.
Le couple se construit sur ces deux demandes absolument universelles de la part des femmes :
· exprime toutes tes pensées en toute transparence
· ne me dis jamais rien qui s'écarterait du scénario fantasmé que j'ai en tête.
Cela pourrait presque paraître contradictoire.
* * *
Ce matin, je reçois un texto : "Dis-moi que tu m'aimes, mais seulement si tu le penses vraiment".
Ouhlaaa, mais qu'est-ce que je peux répondre à ça ?
Commençons par exclure d'emblée de répondre la vérité : je n'ai aucune idée si je t'aime, je ne me suis pas vraiment posé la question, franchement ça m'étonnerait, ce n'est pas mon genre et d'ailleurs tu n'es pas tellement mon genre non plus, si je réfléchis bien je dirais que je supporte sans inconfort de passer une soirée avec toi, que tu me m'agaces en général qu'au delà de trois jours consécutifs ensemble, que je trouve que tu as un corps idéal pour la levrette, que tu te débrouilles décemment bien pour les pipes, et que en dehors de deux ou trois sujets de conversation tu n'es pas plus casse-couilles qu'une autre, que l'idée de t'être fidèle ne m'as pas encore traversé l'esprit, que ça m'étonnerait qu'on soit encore ensemble à Noël mais que en même temps si je n'ai rencontré personne d'autre pourquoi pas, Noël est une bonne saison pour la levrette, je n'ai aucune envie de te blesser par ma réponse, je vois bien que tu attends de moi un engagement un peu formel, mais bon, si je te dis que je t'aime, vraiment tu n'es pas obligée de me croire.
On ne peut vraiment pas dire cela par texto.
C'est beaucoup trop long à taper.
Je vais plutôt ne pas répondre du tout, ça me semble tout aussi clair.
Avec en plus un avantage non négligeable, celui de ne pas établir par ma réponse les bases d'une prochaine discussion : "c'est surtout cette phrase qui m'a fait mal" / "comment as-tu pu m'écrire cela ?" / "c'est important qu'on en parle, tu comprends, sinon on ne progressera jamais".
Alors que si je ne réponds rien du tout, tout ce que je risque, c'est un petit commentaire acerbe dans deux semaines, "de toute façon tu ne réponds jamais à mes texto", ça ne peut pas être bien grave.
Evidemment, il y a encore plus simple et sans danger : "Mais bien sûr que je t'aime".
Satisfaction immédiate, pipe, levrette, nous sommes sauvés.
Que des avantages, aucun inconvénient, hormis cette légère sensation autour du cou, l'impression que la chaîne a été resserrée d'un cran.
"Mais tu ne dis pas cela juste pour me faire plaisir ?"
Aaaaargh. Non seulement il faut mentir, mais en plus il faudrait le faire en toute honnêteté ? Ou bien juste de manière très convaincante ?
"Mens-moi bien", voilà la demande universelle des femmes.
* * *
(à suivre...)