Normale (5)

Publié le par Valentin Vernoux

Previously in "Normale" : notre héros, en dépit de sa grande connaissance des gonzesses, persiste à chercher l'âme sœur, et d'ailleurs il est justement attablé avec une parfaite inconnue pour le fameux rituel du "premier rendez-vous".

 


 

Donc la conversation s'engage.

 

Evidemment, nous savons déjà que si l'on peut parfois séduire en parlant, on séduit toujours en écoutant, et nous allons donc laisser parler madame ; aucune femme ne s'est jamais plainte d'avoir trop parlé lors d'un rendez-vous amoureux.

 

Et puis ça nous arrange, parce qu'il faut qu'on la situe sur notre carte universelle des foldingues.

Détecter autant que possible les névroses, les signes de dépression ou d'hystérie, etc. aussi précisément et aussi vite que possible, avant de devoir trop s'engager.

 

Bon, soyons lucides, il est probable que si j'ai l'occasion de finir la soirée contre sa peau, vu que fesses galbées etc., j'oublierai illico mes propres conseils de prudence et je m'exécuterai.

Comment croyez-vous que j'ai accumulé autant d'histoires de cinglées dans ma vie ?

En choisissant mes partenaires avec discernement et en prenant le temps de bien les connaître avant de les sauter ?

Ou de les épouser ?

 

Raison de plus pour en profiter, maintenant, en ce tout début de rencontre, ce moment magique où tout est possible et où je ne suis pas encore bourré, en profiter pour saisir au vol tous les signaux, les indices, les symptômes, et se préparer le cas échéant à battre en retraite en cas d'éruption d'alien hors de son ventre, c'est bon j'ai repéré les sorties possibles en m'installant dans le resto.

 

Mais bon, ce n'est pas une science exacte, et il est facile d'ignorer les signes tandis que l'œil se distrait dans le décolleté plongeant ou dans les grands yeux verts qui vous font face.

 

Et comme nous le disions plus tôt, la femme attablée à mes côtés dispose dans mon esprit envoûté d'un crédit maximum, et j'ai du mal à soupçonner quelque dysfonctionnement que ce soit derrière ce visage d'ange de la renaissance.

 

Faces 1 

 

En revanche, elle semble plus que dubitative à mon endroit, mais j'ai bien l'intention de m'intéresser avec dévotion à sa vie, son histoire et ses passions, j'ai bien l'intention de boire ses paroles et de faire "hun hun" avec régularité, et je compte bien que toute cette attention de ma part fasse remonter ma cote rapidement.

 

Etape # 1 : "Explique-moi, tu fais quoi exactement dans la vie ?"

 

Je commence facile, l'avantage des gens qui parlent de leur travail c'est qu'au moins ils parlent de ce qu'ils connaissent, il n'y a rien de pire qu'une interlocutrice qui pérore pour ne rien dire sur un sujet que vous connaissez bien mieux qu'elle, avec la question du boulot on est au moins sûr qu'elle pourra se mettre un peu en valeur, si on connaît un peu son métier on peu relancer par des commentaires ou des questions initiées, si on ne comprend rien on peut feindre l'admiration ou la curiosité de bon aloi.

 

Pendant qu'elle me raconte sa carrière de business-woman, toutes mes alarmes se mettent en marche pour m'annoncer une hyperactivité assez évidente, nous avons affaire à une surbookée de la vie, débordée par ses projets, toujours en mouvement, noyée dans l'action, et ça va à la salle de sport deux fois par semaine, et ça fait du footing, et ça a vu toutes les expos, et ça part visiter l'Inde ou le Chili sac au dos la semaine prochaine, elle me fatigue déjà.

 

Bon, ce n'est pas non plus une grande surprise, tout cela manque un peu de distance mais le travers est courant, et rarement rédhibitoire en ce qui me concerne, ce n'est pas comme si j'avais l'intention de me mettre au footing pour être avec elle à chaque instant.

 

En revanche, à ce stade, je ne perçois pas d'agressivité, c'est déjà ça, je peux faire face à une hystérique mais une hystérique-psychopathe, c'est vraiment chiant.

 

Oui, je dirais que tout cela se présente très bien.

Et en plus elle commence à se détendre un peu, je crois que je lui plais.

 

Faces 2

 

Etape # 2 : "Et tu viens de quelle région, à l'origine ? Des frères et sœurs ? Tes parents, ils font quoi ?"

 

Bon, là on est un peu en confiance, il est temps de s'attaquer au gros morceau, et de chasser les névroses.

 

Les névroses sont des formes pathologiques d'angoisse, qui résultent de quatre grandes peurs primales :

·         La peur d'être abandonné

·         La peur de ne pas être aimé

·         La peur de l'échec

·         La peur d'être empêché d'obtenir ce que l'on veut

 

Inutile de dire que tout cela remonte en large part à la cellule familiale, et notamment pour les femmes à la relation au père, on ne le dira jamais assez.

En règle général, si elle parle de son père, vous avez intérêt à tendre l'oreille, et il est sans doute temps de vérifier que les sorties sont bien dégagée pour permettre une fuite rapide.

 

Papa qui espérait un garçon, papa qui ne montre pas son affection, papa qui n'est jamais satisfait,  papa qui n'est pas l'homme parfait que j'espérais enfant, papa, papa, qui a conditionné depuis mes relations avec les hommes, tous semblables à lui, tous décevants comme lui, me refusant comme lui tendresse et reconnaissance, et tous incapables de se mesurer à ce que j'espérais qu'il fût.

 

On est en territoire dangereux, mais on touche à l'intime, ce qui donne à madame l'opportunité de se livrer un peu, à son rythme, et à moi l'occasion de montrer plein de bonne qualité d'écoute avec des morceaux de maturité dedans.

 

En l'occurrence rien de très horrible dans son discours, on est dans le classique, une enfance bourgeoise en province, des frères aînés considérés comme des divinités vivantes, des rapports distants mais rituels avec des parents qui ne comprennent pas grand chose à sa vie d'aujourd'hui ("c'est un travail avec les ordinateurs, c'est ça, hein, ma chérie ?"), on en est tous là, c'est de la petite névrose pas bien grave, elle a l'air de tenir debout.

 

Les deux frères ont aussi fait de grandes écoles, tout le monde a bien réussi, elle un tout petit peu en dessous mais sans démériter, c'est marrant cette convergence de destinée au sein de la portée…

 

"Ah ben oui, tu sais, avec mon père, on n'avait pas le choix, les études c'était super-important, pour lui, pas question de finir en fac !"

 

Et ben voilà…

 

J'ai bien fait de creuser un peu.

 

Ca explique un peu l'hyperactivité constatée plus tôt, en fin de compte elle est en permanence à fond parce que sinon, Papa va froncer les sourcils.

 

Alors elle a très peur de rater, très peur de chuter, parce que Papa ne va plus l'aimer autant que ses deux frères qui sont si beaux en costume Armani, et tant pis si j'aurais voulu être un artiiiiiiiiste.

 

Bon, et bien ça se précise.

En tout cas elle a l'air contente d'avoir pu se confier un peu, je marque des points.

 

 Faces 3

 

 

Etape # 3 : "Et alors, tu me disais que tu avais été mariée 10 ans ? Ca s'est terminé il y a longtemps ?"

 

Là tout se complique.

 

Nous avons plusieurs choses essentielles à vérifier, et on en est déjà au dessert.

 

D'abord, il faut savoir si elle est vraiment disponible, si elle a bien fait le deuil de sa dernière relation.

 

Parce que, bon, si vous êtes un homme, pour vous la phrase "mon mari et moi sommes séparés" signifie au minimum :

1.       ils n'habitent plus dans la même maison

2.       une procédure de divorce a été engagée, une négociation a au minimum été initiée quant aux aspects pratiques de la séparation

3.       ils n'ont plus de relations sexuelles

4.       le mari est bel et bien informé de tout ce qui précède, quelqu'un a pris le temps de lui dire, il est bien conscient du caractère définitif de la chose

 

Mais vous êtes un homme, donc vous ne pouvez pas comprendre.

 

En fait c'est plus compliqué.

 

"Mon mari et moi sommes séparés", cela peut traduire, à ce stade de la parade amoureuse, des réalités diverses, qui vont de ce qui précède, c'est clair et net (et rassurez-vous, ça arrive parfois, quand même), à des situations beaucoup moins limpides qui se caractérisent surtout par le fait que Monsieur n'est quant à lui pas du tout au courant d'être séparé.

 

Madame a parfois seulement pris la décision de son côté, bon c'est décidé je le jette, dans cinq minutes s'il ne m'a pas offert de fleurs je me considère comme définitivement disponible, tiens rien que d'y penser je me sens libérée d'un poids, je vais enfin me faire sauter proprement.

Ma copine Josy depuis son divorce elle n'arrête pas, vive la liberté.

 

Mais tel le petit gibbon qui ne lâche une liane que lorsqu'il en a attrapé une autre, la femme en cours de séparation est ce soir attablée en face de vous pour vérifier son pouvoir de séduction, avant de rompre définitivement les amarres avec l'autre crétin.

 

Bon, en général ils en ont tout de même parlé un peu, ce n'est plus possible, on ne peut pas continuer comme ça, depuis combien de temps tu ne m'a pas fait l'amour, on s'engueule sans arrêt, il faudrait peut-être qu'on fasse un break, putain toi et ta mère vous commencez à me les briser menu, tu n'es vraiment qu'un connard, un de ces jours je vais faire ma valise tu vas rien comprendre, c'est ça casse toi connasse ça me fera des vacances.

 

Mesdames, ce n'est pas parce que vous avez eu ce genre de conversation constructive avec votre époux, et qu'il a cru bon de conclure l'échange par "c'est ça casse-toi connasse", que vous pouvez désormais vous considérer comme séparée.

 

Non, même si vous n'avez pas eu de sexe avec lui cette semaine ou depuis deux mois, même si vous faites chambre à part, ça ne vous qualifie pas pour "séparée".

 

Non, même si c'est un gros abruti, non non, vous n'êtes pas automatiquement divorcée pour autant, ça ne marche pas comme ça.

 

Non, même si il habite dans une chambre de bonne pendant que les choses se calment, parce que vous l'avez convaincu de "faire un break", ce n'est toujours pas "séparés", n'insistez pas, enfin Madame, il faut vous calmer maintenant.

 

Si il a encore les clés, si les enfants sont tenus dans l'ignorance, s'il vous appelle de temps en temps pour rattraper le coup, ce n'est pas à nous qu'il faut dire que vous êtes séparée, c'est d'abord à lui.

 

Bon, messieurs, vous vous demandez pourquoi j'en fais tout un plat, après tout, une fille qui se prétend libre comme l'air ce soir, mais qui demain aura du mal à s'engager parce qu'il y a un mari pas bien loin, cela peut pour l'œil débutant apparaître comme une opportunité en or.

 

Ben oui, vous faites comme vous voulez, ça peut en effet être un plan idéal, mais mieux vaut savoir où vous mettez les pieds, en connaissance de cause, et être prêt à faire face à des ex-maris jaloux ou suicidaires, à des plannings compliqués pour trouver une plage horaire acceptable pour baiser comme des lapins mais discrètement, et aussi bien sûr à des moments de détresse et de doute chez Madame, auxquels il faudra bien faire face en feignant l'intérêt, la compassion, voire même un semblant de solidarité.

 

Je vous aurai prévenus.

 

Il vous reste maintenant à poser quelques questions pertinentes sur les causes de la rupture.

 

Vous constaterez avec l'expérience que les histoires que vous raconteront les femmes à ce sujet entre globalement dans trois grandes catégories. Je vous propose une traduction.

 

Les hommes sont des salauds : c'est l'histoire la plus courante, à base de "je me suis rendu compte qu'il était incapable d'engagement", "ce que je n'ai pas supporté, c'est qu'il me mente", "il ne voulait pas me faire un enfant" et autres "il m'en a fait voir de toutes les couleurs, j'en ai eu marre de vivre avec un gamin".

Comprenez "il l'a trompée", ce salopard s'est tapé une plus jeune, ou juste une moins casse-couilles, ou même s'est barré avec elle.

 

On s'est éloigné petit à petit : tu comprends, il n'y a pas de responsable, c'est la vie, on s'est rencontré très jeune, et puis au fil du temps on s'est éloigné, et un jour il n'y avait plus d'amour entre nous, c'est triste.

Comprenez "elle l'a trompé".

 

Il est devenu violent / alcoolique / dépressif, j'ai dû partir pour protéger les enfants, c'était terrible mais tu sais quand tu vois quelqu'un que tu aimes sombrer dans cette autodestruction tu ne peux rien faire d'autre que de te protéger, le laisser à ses démons, mais c'est une décision très dure, tu n'as pas le choix mais c'est terrible.

Comprenez "elle l'a trompé, il s'en est rendu compte".

 

Au passage, bien sûr, vous avez bien compris le principe maintenant, repérez toutes les manifestations alarmantes de dépression ou de psychopathie qui vous aideront à mieux la situer sur notre tableau, quel meilleur sujet que l'ancien être aimé pour éventuellement observer en live sa propension à l'accabler de reproches plutôt que de se remettre elle-même en question, ou à rêver tout haut d'une émasculation publique à la tenaille ?

 

Alors voilà, vous avez payé l'addition, c'était une soirée riche en enseignements, elle minaude que ce n'est pas bien, vous l'avez laissé parler tout le temps, elle ne sait rien de vous, ça doit être le vin elle s'est laissé aller, elle est un peu éméchée, hi hi hi, la prochaine fois promis elle se tait et vous lui racontez tout.

 

La prochaine fois ?

 

Ohlaaa.

 

Faites comme vous voulez, mais n'oubliez pas, un jour prochain, bientôt, vous serez peut-être vous-même ce salopard de dimension internationale qui lui a gâché sa vie, est responsable de tous ses problèmes, et qu'elle voudrait tellement pouvoir empaler en place publique mais c'est interdit (le triomphe du politiquement correct, d'abord on t'interdit de fumer dans les restos et bientôt on n'a plus le droit de rien faire, un vrai Etat policier).

 

Ce salopard dont elle est bien sûr complètement séparée, c'est du passé, j'ai complètement fait mon deuil.


 

Faces 4 

 

 



(à suivre...)


Publié dans 07 Normale

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