Champ de Bataille (2 et fin)

Publié le par Valentin Vernoux

Previously in "Champ de Bataille" : Crom, notre héros des âges farouches, s'est fait larguer par sa compagne ("cette salope") ; après un épisode incrédule, puis dépressif, il a enfin décidé, sous la pression amicale de ses amis, de se "remettre en selle" et de se retrouver une gonzesse, ça urge.



Bien évidemment, ainsi que nous l’avons explicité dans un chapitre précédent, toutes ces femmes qui manifestaient hier leur intérêt pour le corps sculptural et pour la conversation spirituelle (quatorze mots, ça fait quand même un certain nombre de combinaisons possibles) de notre héros se révèlent aujourd’hui hors d’atteinte : occupées par d’autres relations auprès de mâles plus stables en terme d’approvisionnement en mammouth, ou tout simplement assez costauds pour tenir Crom à l’écart ; trouvant Crom aujourd’hui moins séduisant, avec cet air de chercher partout une poutre pour se pendre ; rendues défiantes par le départ de la compagne de Crom, le rejet par une autre étant devenu une référence de comportement pour toutes (pour la mimésis, voir « on ne prête qu’aux riches »).

 

Et même lorsque Crom s’aventure auprès des « Filles-de-la-Compta », prêt à tout pour un peu de simulacre amoureux, son air aux abois décourage illico les femelles, et encourage en revanche les Chefs-Comptables à bomber le torse pour protéger leur harem, en répétant cette incantation étrange « pas Globe, pas Globe !! ».

Crom leur mettrait bien un coup de massue dans la gueule, aux chefs comptables en veste en velours et mocassins à pompons, mais là il n’a vraiment pas la tête à ça.

 

La pression monte, et avec les échecs répétés point l’inquiétude : où trouver une femme ?

 

Bien sûr, il est clair pour nous tous, avec la perspective que nous offrent les quelques millénaires de progression de la maturité masculine (ouarf, ouarf), et la sérénité que nous confèrent une libido satisfaite et  une vie sentimentale pleinement épanouie (ouarf, ouarf), il est clair que Crom va dans le mur en partant en chasse sans avoir préalablement défini son objectif : « une femme, certes, mais pour quoi faire ? ».

 

Une aventure sans lendemain, une compagne, une épouse, un peu de chaleur humaine dans ce monde de brute ?

 

A ce propos il est intéressant de noter que Crom, comme d’autres, sent sans aucun doute confusément que sous prétexte de quête transcendante de l’Amour, il va sur le chemin se résoudre à niquer sans espoir de lendemain tout ce qui passe à portée, avec un vague sentiment de culpabilité à l’égard des femelles en question et la conviction profonde de perdre son temps dans ces compromissions d’occasion.

 

Or Crom s’égare (cherchez pas, ce n’est pas une contrepèterie).

En réalité, sa quête ultime est bien le sexe sans entrave, mais faute de directions claires, il va sans doute en fin de compte se laisser convaincre par les mirages illusoires de l’Amour, et se résoudre de nouveau à la vie en couple.

 

Car les femelles de l’espèce sont engagées dans une guerre larvée, mais permanente, pour obtenir en contrepartie de leurs faveur des garanties de sécurité du foyer, d’approvisionnement indéfini en bison, fleurs, et chaussures, et d’épanouissement ad vitam eternam de leur ego par le simulacre de l’Amour-Comme-Dans-Les-Livres.

 

Pour l’homme en situation de drague, il s’agira donc de convaincre que ses intentions vont au-delà des quelques heures qui vont suivre, et donc que sa proie ne fait pas don de son corps en pure perte.

 

La femme cherche une présence chaleureuse, et plus si affinités.

L’homme cherche du sexe, et plus si vraiment nécessaire.

 

C’est des conneries, on est d’accord. On pourrait juste avoir des rapports sexuels en fonction de notre désir sexuel, sans chercher pour cela de contreparties ni de serments ni de promesses, et a fortiori sans se laisser influencer par des programmations comportementales dont l’utilité pour la survie de l’espèce a disparu quelque part au moyen-âge.

 

Ben oui on pourrait mais non on peut pas (le niveau littéraire du blog vient d’en prendre un coup).

 

Donc, Crom croit être le chasseur, mais c’est bien lui qui va se faire niquer.

 

Hélas, l’homo largus ne dispose pas d’une telle présence d’esprit, et il faut bien dire que jusqu’à la publication de cet ouvrage de salubrité publique quelques centaines de siècles plus tard (je parle de celui que vous êtes en train de lire, merci de suivre), le pauvre était largement laissé livré à lui-même dans cette solitude cruelle, ou, pire, exposé aux seuls conseils d’amis (ces crétins de Kall et Groum) bien intentionnés, mais finalement à ranger dans la catégorie « amateurs » (au contraire de ce blog dont le professionnalisme didactique n’aura échappé à personne si l’attachée de presse a fait son travail).

 

Donc le pauvre ère, mal avisé et mal conseillé, devient inévitablement mal intentionné.

 

Où donc, se demande-t-il, trouver une femme disponible et ouverte d’esprit ?

 

De préférence un canon avec fesses fines et des seins énormes, et une chevelure soyeuse comme dans les pubs pour shampoing où elles marchent sur la table de conférence en distribuant des feuilles blanches, et ne se font même pas virer après parce qu’elles ont une chevelure soyeuse qui ne se décoiffe même pas quand l’hélicoptère atterrit sur le toit.

Mais bon, Crom est réaliste et un peu pressé. Il se satisferait de n’importe quelle femelle qui aurait des cheveux et deux jambes (sur ce point il ne transigera pas).

 

Mais pourquoi la femme idéale avec deux jambes et des cheveux serait-elle disponible ? Dans quel endroit pourrait-on trouver cet animal rare, et qui plus est, où pourrait-on l’approcher sans l’effrayer ?

 

Et là, il décide d’aller draguer dans un bar.

 

L’erreur.

 

Ami débutant, permets-moi de confirmer de suite ce qui j’en suis sûr est déjà pressenti par ton instinct confus : draguer seul dans un bar est un des sports extrêmes les plus incertains, et malgré l’apparente facilité technique, la probabilité d’échec, et donc les dommages potentiels à l’ego du mâle rejeté, doivent absolument avoir été considérés préalablement à toute tentative en grandeur réelle.

 

Tout d’abord, examinons le terrain et la faune concernée : les femmes ne vont pas seule dans les bars (sauf peut-être dans les bars d’hôtel pour y faire des affaires, mais c’est plus cher), elles y vont avec leur mec présent ou futur, ou avec des copines qui n’auront de cesse que de faire rempart ou de servir d’excuse pour étouffer dans l’œuf ce qui à vos yeux est déjà la résurgence de l’Amour.

 

Apprêtez-vous donc à devoir négocier tout d’abord le choix de votre cible, car face à un groupe de 3 filles qui gloussent devant leur Coca Light (ou pire leur bière aromatisée avec quartier de citron dans le goulot, les filles manquent cruellement d’éducation alcoolique élémentaire), il va bien vous falloir faire un choix quant à votre cible initiale.

 

Ici trois théories s’affrontent :

 

-          le mâle primitif classique va s’attaquer immédiatement à la citadelle imprenable, et draguer d’office la plus mignonne (sa motivation profonde peut être résumée ainsi : c’est la plus mignonne) ;   
en cela il s’aliène immédiatement les deux moches qui ont beau savoir qu’elles sont là en faire-valoir, n’en espèrent pas moins que la popularité de la reine leur déteindra dessus en partie ;         
la belle n’a quant à elle aucune incitation à céder aux avances de l’intrus, tant la situation lui paraît aller de soi ; au contraire elle aura tendance, encouragée en cela par les deux boudins vexés, à rejeter ces avances, au prétexte qu’elle est avec ses copines, montrant ainsi aux deux moches que son titre de reine implique des responsabilités et des sacrifices qu’elle assume pleinement ;           
après moult verres, le mâle primitif et rejeté finira par essayer de se rabattre sur une des moches, sans comprendre que céder représenterait pour elle l’acceptation de facto de son statut de moche, et que son refus était donc écrit au moment même où la belle a dit non ;
probabilité 97% d’un retour maison en titubant ; mauvaise soirée

 

-          le crétin sophistiqué se targue d’une stratégie subtile aux confins du virtuel : draguer la moche pour avoir la belle ; son postulat est que, au contraire du mâle primitif, il convient de porter son dévolu initial sur une moche, afin de créer de la part de la belle ce soupçon de jalousie qui la ferait désirer cet intrus qui a eu l’audace de lui préférer sa copine ;  
la belle la plupart du temps traite cet incident par le mépris ;         
la moche quant à elle finit rapidement par comprendre le manège (les moches sont moins connes, c’est dans tous les contes de fée) et prend la mouche (oui, la moche prend la mouche, c’est une allitération) ;        
probabilité de rentrer avec la belle en fin de compte de l’ordre de 0.001%, probabilité de rentrer avec la moche 10%

 

-          l’audacieux inconscient propose aux trois de rentrer pour une partouze à la maison : retour seul, probabilité élevée à maximum

 

On sent donc bien que Crom a toute les chances de rentrer seul à la caverne, son gourdin à la main.

 

En fin de compte, la seule stratégie raisonnablement efficace est la suivante : draguer une moche, se concentrer sur cette seule cible, compter sur le fait qu’elle se sente flattée par tant d’attention,  dépenser beaucoup de temps, d’argent, et d’énergie, et faire tomber murs après murs de ses réticences fortifiées.

Et si cela finit miraculeusement par marcher, lorsque parfois vous ne rentrez pas seul, il ne reste plus qu’à tenter de ne pas tout gâcher sous les effets combinés de la fatigue, de l’ébriété, du désespoir et de la vue de ses chairs boursouflées.

 

Et une fois passés tous ces obstacles, après le pénible réveil auprès de cette parfaite étrangère (qui n’avait quand même pas l’air tellement moche hier soir dans ce bar), la tête tiraillée par les vapeurs d’alcool, l’auto flagellation mentale à la prise de conscience des renoncements esthétiques que la libido débridée vous pousse parfois à commettre, il faut déjà penser au dur chemin qui vous attend pour vous sortir de ce pétrin sentimental, et faire comprendre à cette personne que vous ne la reverrez jamais, tout en évitant autant que possible la cruelle culpabilité associée dans votre esprit à ce comportement.

 

Vous croyiez avoir gagné la bataille, et au réveil vous vous rendez compte que vous êtes déjà pris dans le filet mental de la contrepartie due en retour de cette nuit dont vous avez déjà tout oublié, ou, pire, dont vous vous souvenez assez bien et qui ne vous inspire qu’une vague nausée.

 

Soyons honnêtes : la probabilité de regretter cette soirée dans la prochaine période de 24 heures est de l’ordre de 89%. La vie est cruelle.

 

(Nota Bene : tous les pourcentages sont rigoureusement issus de la vie privée d’un ami très cher dont l’identité doit absolument rester secrète et que nous appellerons Laurent Pavillon).

 

Il faut donc être très clair : la drague en général, et la drague dans les bars en particulier, est une des activités humaines possédant le moins bon rendement, avec une probabilité décourageante de déboucher sur un résultat contraire aux objectifs.

 

Mais malgré tout, malgré l’irrationnel de la chose, malgré le faible taux de succès, et le risque de s’empêtrer dans des choix de vie qu’aujourd’hui vous écarteriez de la main en riant, malgré mes conseils répétés, vous continuez à y aller, comme des cons, vous continuez à miser votre vie dans ce jeu dont vous ne maîtrisez pas les règles, et dont vous ne savez qu’à peine quelles espérances de gain vous comptez en tirer.

 

Laissez-moi vous redire la vérité : c’est un complot très élaboré, inventé par les femmes pour nous attirer dans leur caverne et nous contraindre à une vie de labeur et de domestication, nous les grands fauves de la nature qui ne rêvons que de courir nus sur la plage, les cheveux dans le vent, à la poursuite de quelque grand prédateur seul digne de l’étalage de notre virilité.

 

Oubliez tout ce que vous avez lu sur l’envie de pénis, le sexe fort, et les composantes de domination dans l’acte sexuel : en vérité, les femmes ont passé un deal avec le créateur, et lui ont demandé de nous équiper d’un membre viril insatiable qui pense à notre place, et nous piège dans leurs filets comme l’instinct prédateur piège le tigre dans la fosse sous prétexte que la chèvre avait le poil soyeux.

 

Ce qu’elles ont donné en échange au créateur reste un mystère. On sait juste que, dans le deal, elles ont aussi obtenu les orgasmes multiples, et qu’elles n’ont renoncé qu’à quelques trucs mineurs comme le sens de l’orientation.

Ce qui tend à confirmer que le créateur était effectivement un homme, sans doute un peu affolé par toutes ces femmes dans son bureau, et qu’il a perdu ses moyens dans cette négociation.

 

Le complot fonctionne à merveille, personne ne se doute de rien, et toutes les femmes en bénéficient, les belles comme les moches.

 

Car comme le taux de succès est tout de même très faible dans toutes les configurations et stratégies de drague, les mâles de l’espèce n’ont pas d’autre solution que de multiplier les tentatives dans toutes les directions, et se mettent donc à draguer tout ce qui porte jupon (donc si on est dragueur, c’est de la faute des gonzesses, remarquez la fulgurance du raisonnement).

 

Et à l’inverse, plus ou moins n’importe quel mec qui se fait draguer par une femme, et quelle que soit sa situation de couple et l’état de son bonheur conjugal, quelle que soit la tête de la fille et sa surcharge pondérale, sera extrêmement tenté de succomber immédiatement à la tentation, et sans plus y réfléchir, au seul prétexte que ce qui est rare est cher, et qu’on ne peut pas refuser l’offre gratuite de ce que l’on a cherché en vain et à grands frais en d’autres occasions.

 

Et pour chaque femme qui minaude dans un bar et qui repousse les avances d’un homme qui lui plait pourtant, il y a un homme qui finit la nuit, tout surpris, avec une femme qui ne lui plait pas mais qui lui a dit oui.

 

Et un nombre considérable d’hommes et de femmes qui rentrent en titubant à la maison.

 

Comme Crom, le gourdin à la main (pour ceux qui n’avaient pas compris la première fois).

 

Mauvaise soirée.

Publié dans 03 Champ de Bataille

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L
<br /> [je reposte car des fautes qui prêtent à confusion ...]<br /> <br /> <br /> ok, Crom veut avant tout du sexe donc pas forcément d'engagement. Mais, il n'en a pas marre de devoir toujours repasser par la case "seul, moins attirant, donc toutes les opportunités d'avant<br /> s'envolent devant son air tout à coup minable", par la case : où/comment trouver quelqu'un d'autre? et tout ce que ça engage? Car nous aussi les femmes, au fond, ce qui nous fait repartir après une<br /> rupture, c'est bien sans doute la libido. Sauf que nous, on réfléchit à plus long terme : ras le bol de la case recherche - essais erreurs - etc. donc tant qu'à faire, autant trouver quelqu'un avec<br /> qui ça le fasse vraiment. C'est peut-être là la seule et vraie différence : la femme prend plus de temps pour chercher, c'est pour ça qu'ensuite, elle est prête assez rapidement à s'engager, parce<br /> qu'elle n'a pas choisi au hasard, mais quelqu'un qui pouvait réellement être un partenaire sur la durée. Les mecs me semblent préférer opter pour la première occasion qui se présente, sans avoir la<br /> patience d'attendre quelqu'un qui leur plaise vraiment sur le long terme. Quoi, après tout, la libido peut s'auto-satisfaire le temps de la quête non??<br /> <br /> <br />
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L
<br /> ok, Crom veut avant tout du sexe donc pas forcément d'engagement. Mais, il n'en a pas marre de devoir toujours repasser par la case "seul, moins attirant, donc toutes les opportunités d'avant<br /> s'envolent devant son air tout à coup minable", par la case : où/comment trouver quelqu'un d'autre? et tout ce que ça engage? Car nous aussi les femmes, au fond, ce qui nous fait repartir après une<br /> rupture, c'est bien sans doute la libido. Sauf que nous, on réfléchit à plus long terme : ras le bol de la case recherche - essais erreurs - etc. donc tant qu'à faire, autant trouver quelqu'un avec<br /> qui ça le fasse vraiment. C'est peut-être là la seule et vraie différence : la femme prend plus de temps pour chercher, c'est pour ça qu'ensuite, elle est prêt à s'engager, parce qu'elle n'a pas<br /> choisi au hasard, mais quelqu'un qui pouvait réellement être une partenaire sur la durée. Les mecs me semblent préférer opter pour la première occasion qui se présente, sans avoir la patience<br /> d'attendre quelqu'un qui leur plaise vraiment sur le long terme. Quoi, après tout, la libido peut s'auto-satisfaire le temps de la quête non??<br /> <br /> <br />
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