Franc du Collier (3)

Publié le par Valentin Vernoux

Previously on "Franc du Collier" : notre héros avait commencé cette aventure dans la perplexité, ne sachant pas trop comment réagir à la demande d'honnêteté de sa compagne (son instinct lui suggérant de s'abstenir) ; il remarque par ailleurs que les femmes de sa connaissance ne brillent pas toujours par leur franchise dans la phase de séduction, et s'étonne naïvement de cette incohérence...



Bon, bien sûr, tout cela ne va pas sans cris et grincements de dents.


Malgré des siècles d'évolution des relations homme-femme, et la contribution constructive de l'ensemble de la presse féminine sur ces sujets, on n'a pas vraiment trouvé la formule idéale pour quitter une femme sans se faire engueuler ou reprocher des trucs.

 

Mais tu m'avais dit que tu m'aimais…

Mais quand je t'avais dit que je rêvais de vivre avec toi dans un pavillon en banlieue, tu ne m'avais pas dit non…

Mais encore le mois dernier, tu m'as offert des fleurs…

Mais tu m'avais promis que tu ne voyais pas d'autre femme et que tu n'en avais même pas envie…

Mais comment tu as pu me laisser croire que tu partageais ma passion pour les films avec Sandra Bullock si c'était un mensonge, espèce de salaud ?

 

Oui, et bien soit tu as mal compris ce que je disais, soit je devais être bourré.

 

Et même bourré, si j'ai dit que je n'avais pas envie de voir d'autres femmes, et vraiment je n'arrive pas à imaginer avoir pu dire une énormité pareille, j'ai trop de respect pour toi pour me foutre de ta gueule avec un truc aussi gros, ca m'étonne de ma part, et bien même si par la plus invraisemblable des coïncidences cosmiques ces mots se sont retrouvés à passer mes lèvres en ta présence, je ne voudrais pas te faire de peine mais c'était quand même un tout petit peu naïf de ta part de me croire, non ?

 

Ecoute-moi bien, petit Padawan, bien sûr qu'au plus profond d'elle-même elle ne t'a pas cru, de toute façon elle a renoncé à être aimée un jour depuis le premier regard de son papa sur le berceau, et la vie a bien confirmé cette intuition depuis lors, longue suite de salopards infidèles et abusifs.

Elle ne t'a pas cru, mais elle croyait en revanche que tu n'oserais pas revenir sur ta parole. Que tu finirais par habiter le rôle, par t'habituer.

Que cette tendance naturelle à la cohérence qui nous différencie, nous les hommes, des autre bipèdes (je veux dire : des femmes), cette propension à rester vaguement logique, t'interdirait à jamais de renier aucune des déclarations précédemment exprimées, t'inciterait même petit à petit à renforcer par de nouvelles paroles imprudentes le poids et la complexité de cette jurisprudence affective accumulée (ah ! tu l'as dit !), créant progressivement une toile gluante d'engagements implicites et d'avenants s'ajoutant au contrat initial.

 

Contrat initial qui n'était à l'origine, rendez vous compte, guère plus qu'un vague : "t'es mignonne, toi, j'aime bien tes fesses, tu dois être pas mal en levrette".

Deux mois plus tard, Barbara est chez toi tous les soirs, a plus de produits que toi dans TA salle de bain, et voudrais que tu lui serves un verre de rosé si il en reste au frigo, sinon c'est pas grave une SanPé c'est très bien, et toi tu te demandes ce qu'elle fait encore là et pourquoi il y a de la SanPé dans ton frigo, t'aimes pas la SanPé.

 

Chacun de tes petits mensonges ou omissions a progressivement resserré le collier autour de ton cou.

 

Et toi tu aurais le culot de tout foutre par terre en admettant que c'était juste un rôle, pouf-pouf on dirait que en fait je n'en pensais pas un mot, non mais en fait ça comptait pas, c'était pour de faux, moi je disais juste ça parce que ça avait l'air de te faire du bien et que tu me cassais nettement moins les couilles après, sans même parler des pipes et de la levrette.

 

Nous les hommes on n'est pas beaucoup plus évolués que le chien de Pavlov, y'a pas de raison, si pendant des mois on constate que

honnêteté => scène + conversations pénibles + portes qui claquent + larmes

et à l'inverse que

mensonge + fleurs
                                   =>   pipe + levrette + ambiance générale de calme et de sérénité

notre capacité d'adaptation est spectaculaire et universelle.

 

Et alors oui, on est à fond, mais non ma chérie tu n'as pas grossi, comme tu es belle ce soir, et non je ne trouve pas du tout que la serveuse est mignonne, et oui je t'écoute, hun hun, c'est incroyable, je pourrais t'écouter parler pendant des heures, et tu as raison il est très bien ce disque de Céline Dion, oui c'est une bonne idée j'adorerais rencontrer tes parents, et tes amis sont super-sympas, et tes enfants sont adorables, mais non ça ne m'embête pas du tout que tu les aies invités ce week-end, on ira à Disneyland c'est cool je n'y suis pas allé depuis longtemps, et puis on pourrait faire un pique-nique à la campagne si tu veux, j'emmènerai des disques de salsa, et oui bien sûr je t'aime mon amour mon amour.

 

Bon, le chien de Pavlov, tu lui ouvres tout d'un coup la cage et tu lui montre un joli gigot sans électrodes apparentes, il a beau être bien conditionné pour répondre aux stimuli, il va quand même sans doute choisir de se tirer et d'aller voir ce gigot d'un peu plus près.

 

Et tu peux toujours l'engueuler et lui faire une scène, je ne vois pas vraiment pourquoi il reviendrait dans la cage pour se prendre des chocs électriques dans le cul en échange de sa nourriture, sous prétexte que ce serait un engagement à long terme et que si on en parle je suis sûr qu'on peut surmonter cette épreuve.

 

Donc si je comprends bien, le week-end à Disneyland et le pique-nique à la campagne avec les enfants, c'est annulé ?

Parce que réfléchis bien, si tu passes cette porte, inutile de me rappeler dans deux jours pour m'emprunter mes CDs de Céline Dion, pas de Disneyland, pas de Céline Dion…

 

Oui, je crois que j'ai bien mesuré les conséquences de cette rupture en termes de pique-nique familial et d'horizon musical, ça sera dur mais je crois que je vais survivre, c'est mieux comme ça.

 

* * *


 
(à suivre...)


 

Publié dans 10 Franc du Collier

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